Au mur de la galerie, de grandes toiles, quelques petites.
Première rencontre. Je regarde, elle reste silencieuse. Hélène Dureau-Martini n'est pas très
prolixe sur son travail et s'en excuse.
Mais elle peint. Et c'est dans sa peinture que sont ses mots,
son expression à elle, sa façon de dire.
Je l'interroge, un peu. Elle s'interroge, aussi. Demande si cela fait du sens de faire de la
peinture, aujourd'hui. Ses toiles aux murs parlent pour elle : oui.
Diplômée des Beaux Arts en mosaïque.
Puis, le diplôme à peine passé, la peinture. Comme une nécessité semble-t-il, comme une évidence qui s'impose
soudain. Elle peint sur du papier, du kraft. Elle n'aime pas le blanc, qui renvoie trop la lumière. Elle
n'aime pas la mollesse de la toile, alors elle fixe du papier kraft au mur, puis, une fois l'œuvre achevée,
elle maroufle le papier sur toile.
La dureté, le corps à corps, la confrontation d'elle-même au mur et à
son support, fragile. Parfois, la peinture ruisselle, parfois elle se fait masse. La matière et la couleur
vivent et vibrent sur le papier. ça et là, surgissent ou transpercent de grandes lignes courbes, douces et
nerveuses à la fois, au fusain. Le papier vient en réserve, creusant autant de saignées lisses, de
respirations, entre les couleurs.
La confrontation, c'est bien ça. Le solide et le délicat (le mur contre le papier, les agglomérats de matière contre les lignes évanescentes, à peine esquissées au fusain), le plein et le vide, la densité et la fluidité.
Elle dit j'aime aller à la limite, au moment limite, juste avant que ça bascule. Et cet
équilibre savant de la matière, de la couleur, du geste, émerge dans chacune de ses œuvres. Comme s'il fallait
retenir son souffle, et qu'un rien pouvait tout faire vaciller.
Elle évoque l'œuvre de Mark Rothko. La
parentée est évidente tant la couleur tient une place majeure dans ses propres peintures. Monochrome ou
presque, elle palpite.
Elle dit la peinture transmet avant tout des émotions. Ici, elles sont intenses
et délicates.
Et ces couches de matières, de couleurs superposées, juxtaposées, cette sédimentarité ?
Elle dit mon travail est aussi sur la mémoire.
Finalement son économie de mots va de pair avec son œuvre.
Elle poursuit l'essentiel avec exigence. Aucune posture, rien de superflu ni de délayé. La grâce de la justesse. Quelque chose d'originel, de premier, comme un élan vital, qui fait la profondeur et la force de son travail.
La peinture comme une nécessité, évidemment.
Diplômée de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Hélène Dureau-Martini peint depuis plusieurs années. Elle vit et travaille à Paris.
Il y a des rouges mats, profonds, qui font penser aux façades des palais romains. Mais sont-ce vraiment des rouges ?
Rouge comme la terre peut être rouge, jamais parfaitement, uniquement rouge. Il y a des délavements, tirant sur le rose, pâles. Le blanc n'est pas loin, couche précédente ou couche à venir. Et toujours, brisant la monochromie, ces failles brutes, ourlées de fusain ou de craie noire, à peine ébauchées mais terriblement présentes. Le craft apparaît, vierge, simple trait ou figure simple, carré, rectangle imparfaits, hésitants, pré-formes ou entre-formes. Tout le geste du peintre est dans cette faille non peinte, cet espace oublié, repoussé aux confins de ceux tant travaillés par le coloriste. Tension, violence et pourtant quel apaisement à regarder les tableaux d'Hélène Dureau-Martini. Un apaisement du même ordre que celui déjà ressenti, à Houston, dans la Rothko Chapel - Rothko le maître. Ce travail obsessionnel nous aspire et nous intrigue. D'où vient-il ? Je n'ai jamais vu Hélène Dureau-Martini travailler. Je ne connais pas son atelier, son lieu, et pourtant les tableaux apparaissent, par vagues. Discrète et humble, elle ne les commente pas. Elle les donne à voir terminés, simplement. Tout se passe comme si de rien n'était. Et tout est là. C'est tout. Il y a des bleus....
Il y a quelques jours, un peu nerveuse, elle me montrait ses nouvelles toiles. Des grandes, et des petites à nouveau. Pas d'intermédiaires. Des papiers roulés, aussi, pas encore marouflés ceux-là.
A première vue, tout a changé. Elle dit qu'elle a cherché à tout remettre en cause, que ça devenait facile, ce sentiment d'évidence qu'elle avait désormais devant ses feuilles de kraft. Une nécessité de dynamiter ses protocoles, ses procédés, son processus de pensée comme de création.
Je pense à la formule "apprendre à désapprendre". C'est une prise de risque. Une vraie prise de position pour un artiste, je crois. Ne pas céder à la facilité ni à l'aisance de ses acquis. Douter, bouleverser ses propres codes, remettre en cause ses schémas, intellectuels, plastiques, formels. Etre l'instigateur de sa propre subversion.
Elle n'est toujours pas très prolixe.
Mais c'est là.
La sédimentarité est toujours là, le support (kraft sur toile) aussi, je retrouve un peu ses gestes dans la matière sur le papier. Mais je comprends qu'elle repousse ses limites, qu'elle s'est extraite, en quelque sorte, de sa zone de confort, qu'elle se met en danger, sans concession à la facilité.
On est dans la confrontation, plus seulement à la toile, mais à soi.
L'huile est plus agglutinée, plus dense. Les couleurs n'explosent plus. On est dans l'étouffement, l'enfouissement. La répétition d'une forme première, presque primitive, comme un monticule obsessionnel, organique, saillant - ou gisant peut-être - sur le papier. Au-dessus, le papier est nu. Et je ne sais pas lequel, du monticule de matière ou du papier, vient envahir/opprimer l'autre.
Mais il y a scission, il y a un gouffre même, qui se dessine et se décline, d'une toile à l'autre.
Une économie absolue, de couleurs, de formes. Une quête du dépouillement. Une évidente volonté d'absence de séduction.
De là jaillit ce qui se pressentait dans ses oeuvres précédentes : l'intensité d'une force brute à l'oeuvre.